A l’occasion du salon Air Ops Europe[1], qui s’est déroulé les 20 et 21 septembre 2017 à l’aéroport de Cannes Mandelieu, l’EBAA (European Business Aviation Association) a organisé une session d’information sur l’évolution et sur les perspectives du marché de l’aviation d’affaires.
Plusieurs intervenants, dont notamment Richard Koe, Manager chez WINGX (Expertises spécialisées en matière d’aviation d’affaires) ont dressé un bilan de ces dernières dix années et ont présenté les perspectives et les évolutions à venir.
En 2016, environ 650.000 départs d’avion d’affaires ont été enregistrés en Europe. 50% de ces vols ont été des vols commerciaux, 40% non-commerciaux et 10% des vols étaient à caractère médical, gouvernemental, militaire ou encore des vols d’entraînement. Les Bizliners[2] ne représentaient que 0,2 % du nombre de vols, contre 70 % pour des jets de type divers (light, heavy et medium) et 30% d’avions à turbo-propulsion.
Concernant les destinations, 40% étaient des vols domestiques (à l’intérieur d’un même pays), plus de 50% des vols intra-européens et seul 10% étaient à destination d’un autre continent, notamment vers l’Asie.
Depuis le mois de janvier 2017, on constate une hausse systématique du trafic mensuel comparé à celui de l’année précédente (périodes janvier à août), ce qui ne s’était pas produit depuis 2010. En effet, le nombre de vols annuels suivant l’année de crise 2009 était resté plus ou moins stable, avec quelques oscillations.
On observe cette évolution positive du trafic pratiquement dans tous les pays européens, à l’exception de la Biélorussie. Les taux de croissance sont plus importants dans les pays de l’est, comme en Hongrie ou en Roumanie, puisque l’on part d’un niveau plus bas, mais même dans des pays comme la France, le Royaume Uni ou l’Allemagne on atteint encore une croissance de 7%.
D’un point de vue aéroportuaire, à quelques exceptions près, la grande majorité des « Top 30 aéroports » en matière d’aviation d’affaires ont une fréquentation en hausse.
Selon l’analyse fait par WingX[3], on relève une croissance des départs de 3% pour les Large Jets, et de 5% pour les Small Jets[4], depuis le début de l’année 2017. Même si l’activité absolue est généralement moins importante pendant les vacances d’été, le mois d’août de cette année a été le meilleur jamais réalisé, avec une croissance de 5,5% par rapport à août 2016.
Ces résultats sont néanmoins à relativiser. En moyenne, un jet d’affaires a volé moins de 300 heures par an : 24,5 heures / mois en 2008 contre 22,8 heures en 2016, soit une baisse de 7%.
Si l’on s’intéresse à la taille des avions, on constate une baisse globale de départ des Bizliners et des Midsize Jets (MSJ, 7 à 8 passagers, idéalement conçue pour des vols de 4 à 5 heures), en faveur des Very light Jets (+12%), depuis 1 an. La catégorie des SMJ (Super-mid Jets, jusqu’à 9 passagers, plus spacieux et mieux équipé en sanitaires que les MSJ), est en hausse. Par contre, le nombre de vols dépassant les 6 heures de voyage est en nette baisse.
Concernant le type d’avion, Phenom 300 (Embraer), Global Express (Bombardier) et PC12 (Pilatus) réalisent la plus forte croissance en termes de départs.
L’activité de la flotte Embraer a augmenté de plus de 25% en un an.
Au détriment des vols en avion privé, le segment qui est le moteur de l’activité en 2017 est le charter, aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe, avec respectivement 10,7% et 7,6% de croissance annuelle.
Les facteurs qui influent sur la croissance :
- L’aviation d’affaires est liée au PIB (produit intérieur brut). Ce dernier enregistre une hausse modeste (entre 1,5 et 2% pour 2017) pour la zone Euro / UE. Par conséquent, la demande de voyage en avion privé augmente également.
- Les dépenses de luxe augmentent. Selon les estimations de WINGX, la croissance en matière de voyages de luxe est supérieure de 33% par rapport à l’ensemble des voyages (respectivement 6,7% et 4,8% pour l’Europe).
- L’incertitude sur la politique économique influe négativement sur la prise de risques et l’investissement des entreprises, y compris pour les jets d’affaires. Ainsi, l’index EPU (Economic Policy Uncertainty), enregistre actuellement un pic, avec la crise de la zone Euro, la crise de l’immigration, le Brexit, les élections présidentielles aux États-Unis et quelques instabilités politiques, en Chine, au Brésil, en Coré du Sud,…
- On peut également observer une tendance où l’accès à des biens et à des services gagne en importance au détriment de l’acquisition et de la possession matérielle. L’économie de partage semble s’être mise en marche.
Côté offre, les opérateurs qui possèdent de plus grandes flottes d’avions, ont une croissance beaucoup plus importante. L’efficacité accrue et la baisse des coûts permettent de proposer des prix plus compétitifs. Actuellement, 21% de la flotte accumule plus de 40% de l’activité totale du secteur.
Les compagnies qui possèdent leur propre flotte de Small Jets enregistrent une croissance de 21%, alors que celles qui ne s’occupent que du management des avions n’ont que 3% de croissance.
Des business models plus affinés que ceux du ad hoc charter traditionnel stimulent également la demande : des opérateurs comme Wheels Up, VistaJet, Xojet, Jetsuite ou Surfair proposent à leurs membres-adhérents différentes options d’accès plus flexibles : Empty legs, Shuttle, seat-sharing,…
La digitalisation et la mise en ligne des offres de vol en avion d’affaires sur des plateformes permettent également une diffusion et une transparence plus large. Les experts estiment qu’un nouveau segment de marché « personal aviation » va se mettre en place.
Côté demande : est-elle robuste ?
On observe une nouvelle tendance pour cibler des clients aisés et VIP plutôt que spécifiquement des hommes d’affaires, afin de développer des vols de loisir, ou plutôt des voyages correspondants à un style de vie. Ainsi, on observe des pics pour se rendre en avion à des événements spécifiques, comme par exemple à l’UEFA Champions League Final Cardiff ou à l’exposition d’art moderne « Art Basel ». Reste à savoir, dans quelle mesure ce segment reste stable. En effet, en 2008, ces « lifestyle customers » se sont massivement et rapidement retiré du marché, et l’activité a chuté de 30%.
A l’heure actuelle il est incertain et trop tôt pour savoir si les investissements de type « Uber of the air » (air taxis) vont générer à moyen et à long terme suffisamment de revenus pour les courtiers.
Pour les avionneurs, la baisse des ventes de jets d’affaires depuis 2008 est de l’ordre de 42%, malgré la reprise des activités dans le domaine du Charter. Les estimations actuelles (août 2017) laissent prévoir une légère hausse des ventes d’avions d’affaires pour cette année.
Ce sont surtout les services après-ventes qui devraient profiter de l’augmentation de l’utilisation d’avions d’affaires : OEMs (Original Equipement Manufacturers), fournisseur de services MRO (Maintenance, Repair and Overhaul), FBO (Fixed Base Operators), services de manutention au sol, services de support au vol,…
Conclusion :
Selon WINGX, on peut caractériser l’état du marché (à court terme) comme suit :
À court terme | Commentaire | |
Utilisateurs de l’aviation d’affaires | + | C’est un marché d’acheteur : plus de choix et prix plus bas que jamais |
Courtiers en charter | = | Plus d’affaires, mais petites marges et un marché perturbé |
Exploitants d’aéronefs | = | Plus de demande sur un marché concurrentiel, quelques modèles commerciaux risqués |
Avionneurs | – | À court terme, le déplacement vers des Charter pourrait retarder ou remplacer l’accès à la propriété |
Activités et services après-vente | + | Plus d’utilisation génère des activités après vente. Opportunité pour OEMs (fabriquants d’équipement d’origine) grâce au déplacement des activités vers le marché secondaire |
- Une reprise des activités de vol en 2017
- générée par le Charter,
- focalisée sur des destinations de loisir correspondant à un certain style de vie
- caractérisée par la rupture numérique
- une incertitude sur la stabilité de la demande et par rapport au retour sur investissement
- en attendant la suite de l’évolution, un côté positif pour les OEMs est le marché secondaire.
Reinhard Finke, Cannes, Septembre 2017
[1] http://airopseurope.aero/air-ops-europe
[2] Avions de ligne convertis en avions d’affaires
[3] Les graphiques suivantes proviennent de WINGX ADVANCE GMBH
[4] Les Small Jets représentent entre 55 et 60% de l’activité totale.